L’île échappe à toute tentative de définition unidimensionnelle : elle représente la nature dans sa pureté originelle et incarne un territoire où se réalisent à la fois un repli sur soi, une rupture avec l’ordre social et moral et une libération de toutes les contraintes. En réalité, l’insularité est une notion complexe, car elle est multidimensionnelle. De nombreuses disciplines se sont intéressées à l’étude de l’insularité telles que la littérature, la linguistique, la géographie, l’économie, l’anthropologie, la biologie, la démographie…
L’île est un espace de séparation, d’isolement, « d’isoléité » (Jacques Rivière) et en même temps un lieu de rencontre et de fusion avec l’Autre. Elle est génératrice de silence, de vide mais également de mots, d’images, de formes, de genres et de discours insulaires. L’île n’existe que comme représentation de l’île. La perception de l’île n’est pas seulement fonction des particularités de ses réalités géographiques, mais suit la sémantique et la syntaxe de notre imaginaire. La réalité géographique ou la réminiscence historique sont indissociables d’une surimpression. Espace onirique, terre de l’utopie, centre spirituel originel, monde en réduction, image complète et parfaite du cosmos, poème, fragment discursif…
Au fil des siècles, l’île a généré des mythes, des légendes et des récits fascinants et en même temps redoutables. Les premiers grands textes des lettres, L’Iliade, puis L’Odyssée d’Homère, ont pour trame des déplacements interminables d’île en île. D’autres poètes et conteurs ont perpétué cette tradition. Ils se sont inspirés de la riche matière insulaire pour inventer leurs œuvres, car, pour eux, « l’île permet une appréhension rapide de la scénographie dans laquelle se situe l’histoire » et où s’accomplissent les rêves (Alberto Manguel et Gianni Guadalupi (2001). L’île Corse, par exemple, occupe une place importante dans l’œuvre de Mérimée (Colomba), de Madame de Brady (L’Héritière corse) ou d’Angélo Rénaldi (La Loge du gouverneur). Il s’agit d’un lieu onirique dominé par des paysages poétiques et par une vie apparemment paisible, mais sous cette surface claire et transparente de l’écriture insulaire se trament souvent des drames : la vendetta, le sang et les larmes et les bandits parcourent des œuvres du XIXe siècle (« Histoire corse », « Un bandit corse » de Maupassant) ou du XXe siècle (Les Agriates de Pierre Benoit). Le résultat est une image paradoxale de l’île incarnant ainsi la vie et la mort, Eros et Thanatos.
L’insularité échappe, donc, à toute tentative de définition figée. Elle change de sens, de formes et de contenu selon les œuvres et les courants littéraires et se reflète au niveau de l’écriture de chaque écrivain, de son esthétique, de sa langue et de son imaginaire. Bien plus, l’insularité est érigée chez certains auteurs en une vision du monde. Albert Camus qui est attaché charnellement à la Méditerranée, avoue : « d’une manière générale, j’aime toutes les îles. Il est plus facile d’y régner. » Cette île rêvée se réfère-t-elle à la mère de l’auteur de L’Etranger ou à l’Algérie, sa « mère-patrie » ? Il est bien difficile de séparer chez un écrivain le mythe insulaire du mythe personnel selon Raimond Trousseau (« Jean-Jacques Rousseau et le mythe insulaire »).
Cependant, la réflexion sur la question insulaire implique deux difficultés : la première est liée à la détermination des caractéristiques de l’île. Doit-on la saisir comme une réalité géographique ou comme un espace imaginaire ? La deuxième difficulté est en relation avec les approches à mettre en œuvre : comment peut-on déterminer la spécificité de l’île, sa complexité, ses frontières et ses divers champs d’analyse ?
Par ailleurs, existe-t-il des traits spécifiques à l’insularité et auquel cas de quelle nature sont-elles ? Ces caractéristiques liées à l’insularité déterminent-elles des configurations géopolitiques spécifiques, voire un contenu identitaire proprement insulaire ? L’insularité constitue-elle un marqueur identitaire ? D’un point de vue langagier, discursif et créatif comment se manifestent ces marqueurs identitaires ? Quels discours les populations insulaires tiennent-elles sur leurs îles et sur les territoires avoisinants ? L’insularité constitue-elle un rôle de démarcation ? Quelles sont les représentations sociales liées à l’insularité que véhiculent les littératures de voyage ? Comment se manifeste le fait insulaire dans la mémoire populaire collective ?
L’ambition de ce colloque doit permettre de surmonter ces difficultés et de saisir la diversité des représentations des îles et la richesse de leurs configurations non seulement au niveau littéraire, mais également au niveau linguistique, artistique, historique et sociologique.
L’île est tellement riche et variée qu’elle ne peut être considérée comme un simple décor, ni comme « un support topographique quelconque », mais comme « un espace métaphorique, investi par les rêves et la magie du verbe ». Une telle vision poétique a conduit certains auteurs à ériger l’île, leur île rêvée, comme un monde clos et autonome. Elle existe en elle-même, pour elle-même : « Mon île était le monde » (Jean Albany). Ce poète réunionnais, a créé son île grâce au créole et a tout inventé : les femmes, la mer les oiseaux, les fleurs, etc.
Cependant, pour d’autres insulaires, l’île n’existe qu’en relation avec le continent. Elle n’est, pour eux, ni un paradis, ni un enfer, elle est plutôt le reflet du réel, marquée par le poids de l’histoire, de la vie politique, de l’idéologie et des normes sociales. Jean-Michel Racault (1992) soutient ce point de vue quand il dit : « Pour l’insulaire, l’île n’est ni cet espace festif en marge de la norme ni cette projection fictionnelle d’un ailleurs idéal, mais un lieu d’ancrage. » et c’est justement cet ancrage social, culturel, philosophique, esthétique, historique, patrimonial, dialectal, langagier et littéraire qui nous intéresse dans notre exploration de l’insularité. Certes un tel ancrage est souvent invisible et donc indétectable dans les textes littéraires, mais son identification et son analyse nous conduisent à mieux comprendre le jeu de révélation et de brouillage des œuvres et des discours insulaires.
Telles seront les questions auxquelles nos invités, issus de divers horizons, essentiellement du monde de la recherche universitaire et de l’univers culturel et artistique pourront apporter leur expertise.
Les propositions de communication, d’environ une demi page, (titre et résumé) accompagnées d’une courte notice biographique sont à envoyer uniquement par voie électronique avant le 15 juillet 2022 aux trois adresses suivantes :
Comité scientifique
Mustapha Trabelsi, Foued Laroussi, Lassaaad Zouari, Mehmet-Ali Akinci, Chokri Rhibi, Arselène Ben Farhat.
Calendrier
- 15 juillet 2022 : réception des propositions de communication
- 30 juillet 2022 : notification aux auteurs
- 5-6-7 décembre 2022 : Colloque international
- Juin 2023 : publication