L’échec de la mise au point d’un vaccin français pendant la pandémie est le symbole du décrochage du système de recherche dans le pays. Une remise en question s’amorce, jusqu’à devenir un thème de la campagne présidentielle ?
«La science française ressort abîmée par la crise.» Après un an et demi de Covid-19, Cédric Villani a le constat amer. Mathématicien brillant, député ex-La République en marche (LREM) désormais proche des écologistes, président de l’Ofce parlementaire d’évaluation des choix scientiques et technologiques (OPECST), Cédric Villani est un observateur averti de la recherche, de son lien avec le politique et de son image publique. Il parle aussi à Libération «d’une forme d’humiliation» à propos de l’incapacité française de sortir un vaccin.
Symbole de ce décrochage : le recul progressif de la recherche française en volume de publications. «Le nombre total de publications scientiques françaises par an, qui était passé en 2015 au-dessous de celui de l’Italie et, en 2018, au-dessous de celui de la Corée du Sud, nous plaçant alors en neuvième position, sera rejoint et probablement dépassé par l’Australie, l’Espagne et le Canada, dès que les chiffres de 2020 seront consolidés», écrit, dans une tribune publiée par le Monde le 11 octobre, Thierry Coulhon. L’homme est le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) et, ô ironie, ancien conseiller du président Macron sur la recherche et l’enseignement supérieur.
Tout semble donc en place pour une introspection du milieu scientifique français. D’autant que la Cour des comptes a jeté un pavé dans la mare le 21 octobre sous la forme<a href= »https://www.ccomptes.f r/f r/publications/les-
«Nous vivons une période critique, estime Léo Coutellec, maître de conférences en éthique et épistémologie de sciences contemporaines à l’université Paris-Saclay. Depuis quarante ans se met en place un régime de production des connaissances autour de la production d’une science de l’urgence, et on délaisse ou invisibilise d’autres champs de recherche, plus lents, plus interdisciplinaires et dont la focale n’est pas le solutionnisme technologique.» A l’aune de la crise du Covid-19 et à l’aube d’une campagne présidentielle, la question se pose : de quelle science voulons-nous ?
Pas d’argent, pas de résultats
La position de la France dans le jeu mondial de la recherche ne sort pas de nulle part. Elle est peu ou prou à l’image de ses moyens. «Ce n’est pas la recherche française qui a décroché ces dernières années, c’est son financement», explique le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche à Libération, en rejetant la faute sur les précédents gouvernements. De fait, avec 2,2% de son PIB consacré à la recherche,
publique comme privée, la France pointe à la 14e place des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Loin derrière Israël (4,9%) et la Corée du Sud (4,6%), qui caracolent en tête, mais aussi dépassée par l’Allemagne et les Etats-Unis, autour de 3%.
Dans ces conditions, «la science française n’a pas démérité dans la crise du Covid-19. Le french bashing ambiant me paraît aller trop loin», juge le directeur scientifique de l’Institut Pasteur, Christophe d’Enfert. Il y a eu de belles réussites. Deux publications d’une équipe franco-américaine, dirigée conjointement par Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, ont été distinguées par le prestigieux magazine scientifique Nature comme parmi les dix avancées majeures de 2020. Elles permettent d’identifier les premières causes génétiques et immunologiques expliquant 15% des formes graves de Covid-19.
Aujourd’hui, la France dépense environ 15 milliards d’euros par an pour sa recherche publique. Il en manque 5 pour atteindre l’objectif généralement admis de 1% du PIB. Le gouvernement a fait passer sa loi de programmation de la recherche en 2020 qui prévoit d’injecter progressivement sur dix ans les 5 milliards d’euros dont la science française a besoin aujourd’hui. Un effort, certes, mais insuffisant.
Une politique de soutien à la R&D à revoir
La somme manquante correspond au montant annuel du crédit d’impôt recherche (CIR). Ce pilier de la politique française en matière de R&D est passé de 500 millions d’euros en 2004 à pas moins de 6,5 milliards d’euros en 2020. Il est supposé permettre d’aider les entreprises à conserver leurs forces de R&D sur le territoire. Une niche scale à l’efficacité douteuse.
Pour Sano, le CIR est estimé à 150 millions d’euros par an. Malgré cette aide, le supposé euron pharmaceutique hexagonal a échoué à développer un vaccin à temps en raison d’un naufrage interne, entre suppressions de postes et volonté de réduire les coûts de production. En à peine un an, plusieurs vaccins efficaces ont été produits contre un virus émergeant</a>, mais pas par Sano. Les recherches sur les nouveaux vaccins à ARN messager ont été menées en Allemagne et aux Etats-Unis par les sociétés Pzer, BioNTech et Moderna. Comble de l’histoire, le patron de cette dernière est le Français Stéphane Bancel. Sa société a bénéficié, selon le calcul de sénateurs américains, de 10 milliards de dollars de financements publics. La France ne boxe pas dans cette catégorie.
CIR ou pas CIR, si une entreprise n’a pas la culture de l’innovation, elle ne s’intéressera pas aux résultats de la recherche. Même la Cour des comptes propose, dans son rapport d’octobre, de «plafonner le crédit impôt recherche» afin de «redéployer des ressources budgétaires signicatives en faveur des universités». Pour améliorer l’innovation dans les entreprises, Antoine Petit, PDG du CNRS et candidat à sa propre succession, explique «croire au modèle du laboratoire commun entre le CNRS et une entreprise».
Et les médicaments alors ?
Le manque de moyens n’explique pas tout. A l’heure où Merck, Pzer ou encore Roche, communiquent sur des médicaments potentiellement efficaces contre le Covid-19, la France est encore absente des débats. Une question d’orientation de la recherche nationale, estime le virologue Bruno Canard. «On paie une approche historiquement très pasteurienne dans laquelle la vaccination résoudra tout. Mais c’est faux. L’exemple type, c’est le VIH. On a tout misé sur le vaccin au détriment de l’option thérapeutique. Et le vaccin s’est cassé la figure. Trente-cinq ans après, on a une maladie bien contenue par 35 médicaments et aucun n’est français. C’est la même chose pour l’hépatite C. On paie très cher des médicaments développés ailleurs», se désole-t-il.
Pour le directeur de recherche à l’Inserm, Jérémie Guedj, la France manque aussi d’organisation. «Notre recherche clinique a été beaucoup trop éparpillée. On a mené des dizaines de petites études isolées, beaucoup ne débouchant sur rien. On a été un peu amateurs et pas assez compétitifs?: en temps de crise, être capable de mener de gros projets de manière réactive est décisif», résume-t-il. Ce morcellement problématique, bien identifié dès la fin du premier connement, a conduit à une réorganisation de la recherche sur les maladies infectieuses et émergentes. L’agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS) englobe désormais aussi le réseau de réponse aux maladies infectieuses émergentes (MIE) et s’appelle donc l’ANRS MIE.
Quel lien avec la politique?
Ce morcellement s’est aussi vu en matière de communication et de conseil au politique. Qui saurait dire quels sont les rôles respectifs du Haut conseil à la santé publique (HCSP), de Santé publique France (SPF), de l’Inserm, de l’Académie de médecine, et de la Haute autorité de Santé (HAS)?
Un émiettement entretenu par le gouvernement qui a décidé d’ajouter au problème pas moins de trois comités ad hoc avec le Conseil scientifique, le Comité analyse recherche et expertise, ou encore le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, en verrouillant complètement leur communication. L’exécutif a, de plus, assumé la communication sur le suivi de l’épidémie, avec ses sinistres et répétitives conférences de presse du jeudi soir, mais invitant parfois des scientifiques et brouillant ainsi la ligne entre ce qui relève du politique et de la science.
«Le Conseil scientifique aurait peut-être pu s’appeler conseil médical, cela aurait évité des confusions. Les organismes de recherche auraient pu être saisis en tant qu’institutions pour donner certains avis. Cela aurait donné plus de poids que l’avis d’un collègue isolé», reconnaît Antoine Petit. Celui dont le mandat à la tête du CNRS prend fin en janvier veut d’ailleurs déjà tirer des enseignements de la crise. «Je vais lancer une mission sur la notion d’expertise collective au CNRS. L’idée est d’apporter des rapports en réponse aux demandes externes et d’en produire pour éclairer le débat public», annonce-t-il à Libération. Une manière pour le CNRS d’essayer d’exister dans le débat public sur les questions vives.
Le rôle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche est lui aussi à questionner. Sa responsable, Frédérique Vidal, a été étonnamment absente des débats sur le Covid-19. Comme si cette crise scientifique n’était pas de son ressort. «Le ministère n’a été guère visible. Il y a eu une forme de cacophonie des acteurs de la recherche, alors que le ministère aurait pu jouer un rôle de coordinateur», tacle Cédric Villani.
Sollicité par Libération, le ministère défend son rôle dans la mise en place d’une cellule interministérielle «Recherche», d’un comité (de plus) destiné à prioriser les essais cliniques et d’une plateforme d’information dédiée à la recherche sur le Covid-19.
Quelle communication ?
La cacophonie a été encore plus criante dans les médias. <i>«La recherche française a été prise de court. Elle n’est visiblement pas armée pour exprimer une parole qui laisse place à l’hésitation, l’incertitude ou la complexité dans le débat public. Cela a créé un vide dans la jungle politico-médiatique et des individus charismatiques ont émergé», </i>avance Léo Coutellec.
Un contexte dans lequel Didier Raoult, en rupture avec la communauté scientifique, a pu s’imposer. Le professeur marseillais a profité – avec l’onction élyséenne – du boulevard laissé par l’absence de communication à large échelle de la part des instances scientifiques françaises. Le Conseil scientifique publie ainsi ses avis avec retard, et SPF s’est fait dépasser par des amateurs enthousiastes, comme Guillaume Rozier et son CovidTracker. Le pompon revient au président du HCSP, Franck Chauvin, qui a expliqué au Sénat avoir décidé «d’arrêter de communiquer», face à la «polémique spectacle». Didier Raoult, lui, publie une vidéo par semaine sur YouTube, et est assuré d’entretiens sans contradiction sur CNews ou BFMTV.
Face à cela, les organismes de recherche font ce qu’ils peuvent. Christophe d’Enfert expose la politique de son établissement en matière de communication. «L’Institut Pasteur n’a jamais été aussi présent dans des médias dès lors que les conditions nous permettaient de bien développer nos propos. Mais ce n’était pas notre souhait d’aller sur tous les plateaux au risque d’ajouter de la confusion, de brouiller les messages des scientifiques et de nourrir des polémiques», détaille-t-il. En clair, l’Institut a choisi les médias qui lui paraissaient les plus fiables pour faire passer ses messages, une sorte de ligne Maginot médiatique, rapidement débordée.